L’analyse des discours publics constitue aujourd’hui un repère essentiel dans la formation des élèves et des étudiants, car elle permet de comprendre comment les valeurs sociales se construisent et se transmettent à travers les médias. L’étude de la controverse suscitée par l’instauration de l’obligation vaccinale en France en 2018 offre un terrain privilégié pour développer des compétences critiques : repérer les procédés rhétoriques, identifier les hiérarchies de valeurs et saisir la manière dont un débat scientifique se transforme en débat citoyen. Cette approche s’inscrit dans une perspective d’éducation aux médias et à la citoyenneté, qui vise à outiller les apprenants afin qu’ils puissent analyser de manière autonome les messages médiatiques. Elle comporte également une dimension d’innovation didactique, car elle ouvre la voie à des pratiques de classe centrées sur l’analyse de discours authentiques, sur la comparaison des points de vue et sur la construction d’une pensée réflexive autour de thèmes sensibles de société.

La construction argumentative de la responsabilité collective

L’année 2018 marque un tournant dans la politique de santé publique française avec l’adoption d’une loi rendant obligatoires onze vaccins pour les enfants de moins de deux ans. Dans un contexte de crise de confiance et de résurgence d’épidémies, la presse a largement relayé la controverse. Parmi les arguments mobilisés, celui de la responsabilité collective occupe une place centrale. Selon Perelman et Olbrechts-Tyteca, les arguments fondés sur la valeur et sur la hiérarchie des valeurs jouent un rôle décisif dans la persuasion. La responsabilité collective, supérieure à la liberté individuelle, est ainsi construite comme justification éthique et sociale de l’obligation vaccinale. Les articles du Monde ou de Libération montrent comment la presse valorise l’idée de solidarité sanitaire et transforme un geste individuel en devoir collectif.

L’argument de solidarité et sa mise en discours

La mise en scène de l’argument passe par des choix lexicaux et syntaxiques qui élargissent le sens de l’acte vaccinal. Dans Libération, l’expression « Vacciner, c’est protéger ses enfants mais aussi les autres » relie l’intime et le collectif, tandis que Le Figaro insiste sur le devoir parental envers « l’ensemble de la société ». Ces formulations traduisent des stratégies discursives de hiérarchisation et de présence, donnant voix aux absents vulnérables — nourrissons, immunodéprimés — qui deviennent figures symboliques de la responsabilité. La presse établit ainsi une opposition structurante entre liberté individuelle et solidarité, où la seconde prévaut comme valeur supérieure.

La responsabilité collective et le pathos de la vulnérabilité

Au-delà de la logique argumentative, la presse recourt au registre pathétique. Dans Le Parisien, l’histoire d’un nourrisson hospitalisé est mise en exergue pour dramatiser les conséquences d’un refus vaccinal. Ce recours au pathos, en incarnant une statistique abstraite dans une victime identifiable, confère une force émotionnelle supplémentaire à l’argument de solidarité. Les lecteurs se trouvent ainsi placés devant un impératif moral : protéger les plus fragiles, au prix d’une limitation de leur liberté individuelle.

La responsabilité collective comme norme sociale

L’efficacité persuasive de l’argument tient aussi à sa capacité à s’imposer comme norme sociale. La presse qualifie de « citoyens responsables » les partisans de la vaccination et marginalise les opposants. En construisant un cadrage normatif, les médias inscrivent la solidarité dans le « sens commun », rendant socialement inacceptable toute contestation. Ce processus illustre le rôle des médias non seulement comme espaces de diffusion d’informations, mais aussi comme instances de régulation symbolique et de légitimation des pratiques.

L’étude de la responsabilité collective dans la presse française autour de l’obligation vaccinale de 2018 met en évidence la puissance des arguments axiologiques dans les controverses publiques. Au plan didactique, cette analyse peut être intégrée en classe comme activité formatrice : elle invite les élèves à examiner de manière critique les procédés discursifs, à comparer arguments logiques et affectifs, et à réfléchir à la tension entre liberté et solidarité. Travailler sur de tels corpus médiatiques permet non seulement de développer des compétences linguistiques et argumentatives, mais aussi d’éveiller la conscience citoyenne des apprenants. En inscrivant l’analyse de discours au cœur du processus éducatif, on favorise une pédagogie innovante qui valorise la réflexivité, stimule l’esprit critique et prépare les jeunes à décrypter les enjeux sociétaux contemporains.

Annexe pédagogique – Fiche de travail pour les élèves

Objectifs
• Comprendre comment la presse construit un argument axiologique.
• Identifier et classer différents types d’arguments.
• Développer une opinion personnelle et argumentée.

Consignes

1. Anticipation – 5 minutes
Regardez au tableau l’opposition :  Liberté individuelle vs Responsabilité collective
Écrivez en deux phrases ce que vous comprenez par ces deux notions et donnez un exemple de votre vie quotidienne.

2. Lecture guidée – 10 minutes
Lisez les extraits d’articles distribués (Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Parisien – 2018).
Surlignez dans le texte toutes les expressions qui expriment une valeur (exemples : « protéger les autres », « sens commun », « doit »).

3. Analyse – 15 minutes
Travaillez en groupe de 4. Classez les arguments que vous avez trouvés dans le tableau ci-dessous :
Arguments logiques (conséquences) Arguments affectifs (émotion) Arguments axiologiques (valeurs)

Remplissez le tableau avec au moins 2 exemples dans chaque colonne.

4. Débat – 15 minutes
La classe est divisée en deux groupes :
• Groupe A = pour l’obligation vaccinale
• Groupe B = contre l’obligation vaccinale
Préparez en 5 minutes vos arguments (en utilisant les articles et vos idées personnelles). Participez à un mini-débat de 10 minutes où chaque groupe doit défendre sa position.

5. Réflexion individuelle – 5 minutes
Répondez par écrit (3–4 phrases) à la question suivante : Quelle est, selon vous, la valeur la plus importante dans ce type de débat : la liberté ou la solidarité ? Justifiez votre réponse.

Évaluation

• Participation active à la lecture et au débat.
• Pertinence des exemples notés dans le tableau.
• Qualité de la réponse écrite individuelle.