ROMÂNIA ÎN ANUL MARII UNIRI – C[entum]
Revista Luceafărul (Bt), Anul – X
Primit pentru publicare: 30 Oct. 2018
Interviu de Tudor PETCU
Publicat: 01 Nov. 2018
Editor: Ion ISTRATE
Jean-François Var est archiprêtre de l’Église Orthodoxe d’Europe, une église qui garde l’orthodoxie de rite occidental.
1.) Tout d’abord, j’apprécierais beaucoup si vous pouviez m’expliquer quelle est la signification de l’orthodoxie à vos yeux. Croyez vous que l’essence de l’orthodoxie soit la passion pour la sagesse, ou autrement dit, l’amour de la sagesse?
L’amour de la sagesse ? Cette formule est-elle appropriée pour caractériser l’orthodoxie ? Je ne le pense pas. Amour de la sagesse, en bon grec se dit philosophia et en bon français hilosophie. Le sens technique qu’a pris ce terme est beaucoup trop restrictif pour englober ’orthodoxie qui, par essence, est une théologie, et une théologie mystique (cf. l’essai de Vladimir Lossky). Cette théologie n’est pas, ou pas seulement, une philosophie religieuse, comme l’est la théologie romaine ; même si les Pères cappadociens ont hissé la philosophie grecque antique à des altitudes jusqu’alors inconnues.
D’autre part, l’amour ou le culte de la sagesse au sens le plus étendu n’est pas exclusif à l’orthodoxie, non plus qu’au christianisme en général. Il se trouve chez les philosophes grecs déjà mentionnés, mais aussi dans la tradition juive qui lui consacre une place déterminante (le Livre de la Sagesse, d’importants passages des Proverbes), et encore dans la tradition
bouddhique ou la tradition védantique…
Ce que la tradition révélée juive et chrétienne a fait apparaitre, c’est l’existence de deux types de sagesse : la Sophia Divine – Sainte-Sophie – et la sophia humaine ; l’œuvre de l’homme spirituel consistant à conjoindre ces deux sophias, à les marier. On voit le jeu des deux chez Salomon.
Ceci est très présent, implicitement et explicitement, dans la spiritualité orthodoxe, et l’on peut, en ce sens, la qualifier de théosophie. D’autant que la Sophia n’est pas une entité distincte, un être propre, c’est un attribut divin que la majorité des Pères rapportent au Fils, saint Irénée et d’autres au Saint-Esprit, et tous par conséquent aussi au Père ; le père Boulgakov, dans sa sophiologie aussi séduisante que controversée, faisant d’elle une sorte de d’essence, d’ousia commune aux trois Hypostases, ce qui a conduit ses adversaires nombreux à l’accuser de prêcher une quaternité.
Oui, la Sagesse-sagesse est extrêmement présente dans la contemplation et dans la piété orthodoxes (pensons aux basiliques qui sont consacrées à Sainte-Sophie) et je dirai en effet volontiers en un mot que l’orthodoxie est une théosophie.
2.) Quelle est la principale spécificité de l’orthodoxie occidentale? Je vous pose cette question parce je pense qu’il y a quelques différences entre l’orthodoxie orientale et celle occidentale.
Cela posé, qu’est-ce qui caractérise l’orthodoxie par rapport à ce qui n’est pas l’orthodoxie ?
a) une théologie, qui est une mise en évidence de la Divine Trinité ;
b) une ecclésiologie, qui trouve son fondement dans cette théologie ;
c) une liturgie, qui trouve son fondement dans cette ecclésiologie.
Toutes les Eglises orthodoxes, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, partagent cette même théologie – sinon elles ne seraient pas orthodoxes. Toutes les Eglises orthodoxes, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, partagent cette même ecclésiologie – sinon elles ne seraient pas orthodoxes. Toutes les Eglises orthodoxes, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, partagent la même liturgie, dans son essence, sinon dans ses formes. Or c’est là que se situent les différences – et les différents. L’essence de la liturgie orthodoxe, c’est le canon eucharistique avec, en son cœur l’épiclèse ; sans l’épiclèse, une liturgie n’est pas orthodoxe. En revanche les formes que
revêt cette liturgie sont et doivent être diverses, car appropriées aux mœurs, coutumes, cultures des peuples (nations) auxquels elles s’adressent ; car le Christ a commandé : « Allez, enseignez toutes les nations (panta ta ethnè) ». C’est la raison pour laquelle la liturgie orthodoxe qui s’est constituée au fil des siècles – dès la fin du deuxième siècle en Gaule (saint Irénée de Lyon) et surtout au cinquième siècle (saint Martin de Tours) – a pris les formes propres à l’Occident gallo-romain, moyennant des variantes insignifiantes de la Germanie à l’Hispanie en passant par les Gaules. D’où l’appellation donnée par Maxime Kovalevsky de rite « paneuropéen »,
terme peu euphonique mais significatif ; la seule exception étant la liturgie de Rome qui ne qui ne comportait pas d’épiclèse.
Et c’est là qu’ont surgi les difficultés, les orthodoxes orientaux – bien qu’ayant été évangélisés des siècles plus tard que les Gaules – considérant leurs formes liturgiques (liturgie de saint Jean Chrysostome, calendrier julien) comme les seules orthodoxes Cette façon choquante de faire primer le secondaire sur l’essentiel n’a pas disparu, loin de là.
3.) De ce que je sais l’Église Orthodoxe a été refondée en France grâce à la personnalité d’Eugraph Kovalevsky, qui, à mes yeux, a développé une théologie basée sur ce qu’on pourrait appeler „la philosophie de l’espoir”. Comment vous comprenez les démarches d’Eugraph Kovalevsky? Est-ce qu’il représente le fondement de la renaissance de l’orthodoxie occidentale?
Eugraph Kovalevsky, projeté en France avec les siens et nombre de ses compatriotes par la révolution soviétique, a très tôt pensé que celle-ci était un acte providentiel en ce qu’elle permettait de faire retrouver l’orthodoxie par l’Occident. Mais là où ses compatriotes pensaient importer l’orthodoxie, lui considérait qu’il fallait la réveiller, la ranimer, car elle demeurait sousjacente dans l’âme sainte de la France, héritière des Gaules. C’est pourquoi il s’attacha à deux choses : vénérer et refaire vénérer les saints français du premier millénaire (c’est-à-dire d’avant le schisme de 1054) et reconstituer et revivifier les formes liturgiques de la même époque, à partir (mais pas seulement) des deux lettres de l’évêque saint Germain de Paris conservées à Autun. C’est ainsi qu’il fut, non pas tant le fondement que le facteur de la renaissance, le mot est juste, de l’orthodoxie occidentale.
4.) Étant donné que dans ma dernière question j’ai fait référence à la personnalité d’Eugraph Kovalevsky, je tiens à souligner qu’il a beaucoup marqué mes recherches philosophiques même par ses réflexions théologiques. Comment et pourquoi s’est imposé Eugraph Kovalevsky à votre avis dans la théologie orthodoxe?
Eugraph Kovalevsky était un génie dans maints domaines et notamment en théologie. Pour l’anecdote, élève à l’institut de théologie Saint-Serge du père Boulgakov déjà cité, celui-ci se sentit obligé de noter 22 sur 20 sa thèse sur la Trinité !
« Philosophie de l’espoir », pourquoi pas ? Je dirais plutôt « théologie de l’espoir » – ce que toute théologie chrétienne devrait être. Ce qu’Eugraph Kovalevsky enseignait, c’était l’espérance ancrée en toute certitude dans l’amour universel du Christ. De la certitude de l’amour du Christ pour tout homme découle tout le reste, en particulier le comportement du chrétien dans la vie.
Je n’ai pas connu monseigneur Jean personnellement mais j’ai beaucoup fréquenté ses œuvres, et c’est cela que j’ai reçu de lui et que je m’efforce de transmettre aux autres. La tristesse n’est pas un état d’âme pour un chrétien. Saint François de Sales, que j’ai enseigné – et qui est totalement orthodoxe, preuve supplémentaire que l’orthodoxie française a subsisté souterrainement – disait : un saint triste est un triste saint (c’est-à-dire un piètre saint).
Monseigneur Jean avait les élans fulgurants d’un prophète, mais toujours inscrits dans la Tradition. Chose qui m’a frappé lorsque j’ai découvert les écrits du père Alexandre Men : j’y ai retrouvé tout à fait la même inspiration, exprimée autrement. Ce qui me donne à croire que tous deux ont puisé à une même source russe, en marge des courants officiels. Car il ne faut pas se dissimuler que tous deux font fi des conventions, des habitudes stérilisantes. En fidèle disciple de son frère, Maxime Kovalevsky, professait : « L’habitude est la principale ennemie de la vie spirituelle ».
D’où le sentiment de radicale nouveauté que donne une attitude comme celle d’Eugraph Kovalevsky, alors qu’elle s’inscrit beaucoup plus justement dans la Tradition que bien des attitudes officielles routinières.
5.) Je me souviens maintenant d’un livre de Maxime Kovalevsky dont le titre était „Orthodoxie et Occident: la renaissance d’une église locale”. Donc, on pourrait dire que l’orthodoxie est en fait l’héritage de l’Occident, surtout de la France?
Tout cela est exposé en détails dans la somme qu’est l’ouvrage de Maxime Kovalevsky : « Orthodoxie et Occident : la renaissance d’une Eglise locale ». Il en résulte que, oui, l’orthodoxie est un des héritages, le plus important du point de vue religieux, de l’Occident, et principalement de la France, car c’est à partir de la Gaule que cet héritage a été répandu en Europe.
6.) Comment voyez vous la situation de l’orthodoxie dans les sociétés occidentales contemporaines? Pas moins, comment vous voyez les rapports entre l’orthodoxie occidentale et les exigences de la modernité? Avec votre permission, j’aimerais aussi faire référence à ce que le théologien orthodoxe roumain André Scrima appelait „le sens métaphysique de l’hospitalité”. J’ai fait cette référence, parce que toute l’information que j’ai appris sur l’orthodoxie occidentale, m’a aidé comprendre sa vocation principale: la grande ouverture d’esprit de l’orthodoxie occidentale. Êtes vous d’accord avec cette idée: l’ouverture d’esprit en tant que vocation de l’orthodoxie occidentale?
C’est pourquoi la présence des Eglises orthodoxes dans le monde occidental (le seul dont je m’occuperai) prend des aspects variés. Pardon si je parais prêcher pour ma paroisse mais je serai franc. Les Eglises orthodoxes orientales exilées en Occident donnent l’apparence d’un phénomène exotique, qui excite la curiosité par son étrangeté, mais rien de plus. En outre, le traditionnel immobilisme de ces Eglises dans leurs histoires nationales respectives a encore été accentué dans leur exil : protégeons à tout prix notre identité en ne changeant surtout rien !
L’orthodoxie occidentale n’a pas à se protéger, elle a le devoir de se faire reconnaitre par le peuple (les peuples) comme autochtone, nationale, et en prise directe avec les besoins et les aspirations de ce peuple. Il ne s’agit pas de céder à la mode ni au modernisme, mais de prendre le peuple dans l’état où le monde moderne l’a mis, de lui rendre espoir (nous y revoici) et de l’élever plus haut que ras de terre. Mais surtout espoir, donc amour. Parier sur le fait que des paroles fortes – et quelles paroles plus fortes que celles de l’Évangile ? – peuvent remuer et mettre en mouvement les âmes. Oui, la vocation de l’orthodoxie est de s’ouvrir à la grande misère morale et spirituelle (économique, elle n’en a pas les moyens) du monde contemporain.
Sinon elle est inutile.
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